Par Karel Ziehli
Toute personne se souciant de l’environnement est confrontée à la question de savoir quel est le meilleur moyen de résoudre les problèmes auxquels l’humanité est confrontée. Alors qu’aux origines du mouvement écologiste, un changement fondamental de nos modes de fonctionnement en tant que société était central, premier, indissociable de leurs luttes, nous entendons depuis quelques temps maintenant – surtout depuis que plus aucun doute subsiste sur la responsabilité de l’humain quand à la dégradation de l’environnement – un discours aux effets pernicieux. La résolution de la crise environnementale passerait par un changement dans les comportements individuels. Il suffirait que l’ensemble des individus consomment de manière éco-responsable. Une figure fait son apparition dans le débat public: le consomm’acteur, la consomm’actrice. Par l’achat, changer notre rapport à l’environnement. Par le porte-monnaie sauver la planète. Tout est ramené à l’individu qui est seul capable d’action*. Non, pas besoin de réforme complète de notre société, pas besoin de changements structurels de fond. Une priorité là-derrière: conserver le système économique que l’on connait. Un système où l’on fera tout pour la croissance du PIB. Rien d’autre ne compte. Pourtant, comme soulevé par l’ingénieur spécialiste de l’épuisement des ressources minérales, Philippe Bihouix (à 19 min dans cette émission), il n’est pas possible, il n’a jamais été possible de découpler, de séparer croissance du PIB et croissance de l’utilisation des ressources, des émissions de CO2, de la consommation d’énergie primaire.
Au-delà de cette impasse, l’hyper-responsabilisation écologique individuelle (comme la nomme, dans cette tribune d’opinion, Violaine Wathelet) présente plusieurs problèmes. Tout d’abord, il mène indéniablement à une culpabilisation de tout comportement vu comme non-écologique. Une partie de la société est particulièrement atteinte: toute personne n’ayant pas les moyens de s’offrir le luxe des produits bio et locaux sont vus de travers. Ce qui est pourtant paradoxal, c’est que les moins bien lotis (d’un point de vue économique), sont bien ceux qui contribuent le moins aux problèmes environnementaux. Quant aux personnes ayant plus de moyens, cette culpabilisation va pousser à une consommation décrite comme plus responsable. Certaines entreprises ont d’ailleurs déjà bien compris comment user de cette culpabilisation. A l’achat d’un bonnet, d’un T-shirt, d’un pull, un arbre est planté. La planète est sauvée. Pourtant, par le marketing, la consommation est poussée, ne se limite pas à la nécessité. C’est de bonne guerre: croître ou mourir…
Ces comportements individuels sont également à mettre en comparaison avec le rôle des grosses entreprises dans l’émission de gaz à effet de serre. En effet, lorsque l’on apprend que 100 entreprises (pour la plupart, des entreprises actives dans l’industrie pétrolière et consort) sont responsables de plus de 70% des émissions globales de ces gaz, la perspective change. On réfléchit différemment. Qu’en serait-il de réglementations restreignant un maximum ces entreprises destructrices de notre avenir? L’impact serait massif! Certains partis ne veulent rien entendre, à l’image du président de l’UDC, qui affirme haut et fort qu’il est normal d’avoir chaud en été; cela en pleine canicule.. On ne sera pas étonné d’apprendre qu’il est également président de Swissoil. Si l’on veut réellement changer les choses, commençons par arrêter d’investir dans ces entreprises, et dans ces partis.
L’histoire des problématiques environnementales nous enseigne bien que les solutions sont à trouver de manière collective et non, seulement, au niveau de l’individu. Le philosophe Augustin Fragnière nous rappelle que le trou dans la couche d’ozone, l’impact du DDT ou les émissions de dioxyde de soufre (et la mort des forêts) ont pu être résolu grâce à un cadre légal posé par les Etats de ce monde, un cadre contraignant et collectif, appuyé sur la science.
Il ne faut pas être dupe. Nous vivons dans un monde donné, un monde qui est dominé par l’incitation à la consommation. On exhorte l’individu de changer de comportement, mais simultanément, on nous bombarde de publicités nous incitant à consommer, consommer encore plus, consommer des produits non-durables; des publicités cachées, presque subliminales, agissent sur nous sans que l’on en soit forcément conscient. Cela montre au moins une chose: nous vivons dans un certaine économie qui prend le dessus sur tous les autres aspects de notre société. Sauver la planète? Seulement si l’économie néo-libérale y trouve son compte. Seulement s’il est possible de continuer à faire du profit, à continuer à croître. Ce cadre socio-économique influence forcément tout individu qui y vit, d’où la nécessité de le changer. Pour cela, un parlement qui se soucie réellement des problématiques sociales et environnementales est nécessaire. Il nous faut une majorité. Pour cela, il nous faut un maximum de votant-e-s! A la question qui revient fréquemment « Que faites-vous dans votre quotidien pour l’environnement? », la meilleure réponse est sans doute « Je milite, je vote, je m’engage! »
En conclusion et pour reprendre les propos du penseur américain et pionnier de l’écologie politique Murray Bookchin: « L’énergie solaire, l’éolien, l’agriculture biologique, une vision holistique de la santé et la ‘simplicité volontaire’, écrivait-il, ne modifieront que très peu le déséquilibre béant avec la nature s’ils n’affectent pas la famille patriarcale, les multinationales, la structure bureaucratique et politique centralisée, le système de propriété et enfin la rationalité technocratique prédominante.» Agir pour la justice climatique. Agir pour la justice sociale. Changer de système.
* C’est d’ailleurs une critique plus large qui peut être exercée envers ce discours d’hyper-individualisation. On n’a qu’à penser à l’augmentation des dépressions, des burn-out, etc. dans nos sociétés. La solution qu’on nous vend: accorde toi 30 minutes de yoga et de méditation par jour et ça ira mieux. Le bien-être au travail pour encore plus de rendement. S’adapter au capitalisme pour mieux le renforcer. Non, la solution réside bien plus dans des mesures politiques, structurelles: le problème ne vient pas de l’individu, il provient des conditions cadres imposées aux individus. Une solution qui aurait bien plus d’impact serait – pour n’en citer qu’une – une réduction drastique du temps de travail (qui aurait également un impact positif sur l’environnement; d’une pierre, deux coups).
candidat au Conseil national
